Les lettres de Lisoun
VendrediMa chère Emma, Ma grande soeur adorée, ma plus grande confidente, une fois de plus j’ai besoin de tes précieux conseils. Quelque chose de terrible se trame.
Hier au soir, j'ai surpris les anciens en train de parler de marier ma petite Mioun à Honoré.
Ce que je vais te dire je ne l’ai JAMAIS dit à personne.
J’imagine que tu te rappelles comme on était de longue fourrés ensemble avec Honoré quand on était pitchouns… et comme j’ai eu le coeur brisé quand les vieux Patras (Cristiano et Adelaïde) ont refusé qu’il me demande ma main.
Un peu par dépit j’ai épousé Césario. Mon pauvre Césario.
Ce qui s’est passé ensuite, il n’y a pas eu une minute où ça n’a pas pesé sur ma conscience ;
Un soir, quelques semaines après le mariage, nous promenions avec Honoré et nous avons été surpris par l’orage. Nous nous sommes réfugiés vite vite dans la grange des Pierrisnard. Je ne sais pas quelle folie nous as pris.
C’est Honoré le père de Mioun j’en suis convaincue. Mon pauvre mari n’a jamais réussi à me donner d’autres enfants. Après cette nuit, avec Honoré nous ne nous sommes plus jamais parlé, je dirais même qu’on s’évite depuis, il ne se doute peut-être même pas que Mioun est sa fille.
Alors tu vois, je suis désemparée. Je ne sais pas comment faire. Il me faut empêcher ce mariage contre nature à tout prix.
SamediMa petite Emma, J'ai commencé à gamberger pour pouvoir envoyer Mioun loin de Majastre comme tu me l’as conseillé. J’ai préparé une tarte esseptionnelle, pour gagner le concours de l’Allegro Coucourdo et devenir juré de Miss Cucurbita. Si la petite gagne elle partira à Zaïs avec Genièvre De Fontaine et nous serons sauvées.
Seulement voilà qu’au petit matin Césario est venu me dire qu'il fallait qu'on discute... j'ai compris que le temps allait me manquer. Les vieux voulaient sûrement annoncer les fiancailles pendant le concours en fin d’après-midi.
J’ai bien essayé toute la matinée d’éviter Cristiano, Adelaïde et Césario mais malgrès subterfuges et esquive d’anguille ils m'ont couru après sans relâche. Majastre c’est pas bien grand alors Cristiano a fini par m’alepaguer sans que je l’ai vu venir, en me disant qu’il fallait qu’on discute de quelque chose à voir avec Honoré… ouilleailleaille, j’étais cuite tè.
Et puis juste à ce moment là, Fougasse un des Espigouloin venu pour l’Allegro s’est pris dans l’idée de bastonner mon Césario devant la taverne. Bien entendu nous avons accouru tout de suite, et moi il m’a pris un tour de sang, crain dégun j’y ai sauté sur le dos à l’autre encatané! Qu’est qu’il lui prends à cette estrasse là?! Mon pauvre mari la tête ouverte en deux, le nez fracassé, un bain de sang terrible!!! Paraîtrait qu’il était pas lui même Fougasse. Lui même ou pas lui même, moi si je le recroise j’y colle un pastisson de derrière les fagots que ça va lui faire tout drôle. Je dois avouer que ca m’a quand même un petit peu arrangée de pouvoir m’escaper d’avec le père Patras, et je ne suis pas retournée demander mon reste!
Bref j’avais réussi à éviter la conversation avec Cristiano mais je n’étais pas plus avancée pour autant.
J'aurais pu aller voir Honoré, tout lui avouer pour le décourager d'épouser Mioun, j’y ai pensé... Mais vaï cette grande courge, pour peu que sa petite maman chérie insiste il aurait été capable de l'épouser quand même, ou pire de tout balancer à Adelaïde. Et si il réclamait l'enfant?! Tu imagine l’esclandre au village. Non ce n’était pas possible.
Et puis, je ne me laisserai pas décevoir une deuxième fois par les Patras, ce qui tourne dans la testo de Cristiano et Adelaide me dépasse. Parce que leur logique, j’aimerai bien qu’on me l’explique à moi ! Soit disant qu’Honoré n'as pas pu me demander ma main parce que son père refusait de se mélanger avec des paysanasses de Charamaille.
Et puis ils ont marié leur fille à notre frère et un de leur fils à notre soeur. Tant et si bien que toute la descendance Patras est maintenant assurée par des Charamaille. Ah bah moi je dit que c'est une belle réussite... et surtout une saloperie d'injustice voilà!
Alors tu comprends quand Césario à eu fini d’être rafistolé du crane en fin de matinée nous sommes allés promener sur le chemin de la rivière tous les deux pour nous remettre un peu de nos émotions. Et là j'ai paniqué, je ne savais plus quoi dire, quoi faire. J’ai fondu en larme toute tremblante, et je lui ai tout avoué.
J'ai eu peur qu'il me jette à la porte, qu'il me méprise. Qu'il me répudie. Peut-être même qu’il me tue de colère! J’étais prête à quitter Majastre si il me le demandais… Mais non, c'est un homme bien mon Césario.
Oh vaï, il le montre pas mais ça lui à fait du mal ! Et tu ne peux pas savoir ce que je m’en veux de lui faire de la peine.
Mais il m'a pardonnée, il m'a même consolée. Brave homme.
J'ai juré de ne rien dire à personne pour qu'il garde sa fille et son honneur et nous sommes rentrés pour la midi.
Pendant un bref moment je me suis sentie soulagée, légère. Je me suis dit que c'était la meilleure décision, j'étais heureuse et fière d'être sa femme.
Ca devait se voir même, puisque quand nous sommes arrivés au village, bras-dessous bras-dessous, Genièvre a cru bon de faire un commentaire. Quelque chose du genre “alors comment vous allez l’appeler le petit deuxième?”. Honoré était juste là, planté devant la taverne, droit comme un i dans son beau costume de garde champètre, il nous a regardés venir du loin. Ca ne l’a pas fait rire la blague de Genièvre. J’ai rougi, baissé la tête. Le malaise était revenu.
Tu sais on se regarde pas vraiment avec Honoré, pas droit dans les yeux et jamais bien longtemps. Il faut que je me fasse une raison, il ne sagit plus de nous maintenant c’est la petite qui compte, alors j’ai fait semblant de ne rien voir. Je crois qu’après ça il a pretexté un mal de testo et s’est enfermé toute la journée peuchère. Laissant d’ailleurs à Cesario la charge de “Garde-Champètriser” le village entier à lui tout seul. Blessé, trahit et en pleine fête de l’Allegro coucourdo avec des estrangiers à moitié fada et des fantômes de partout. Pas étonnant avec une telle pression, qu’il ai dérapé sur les règles du maître le pauvre Césario. Bon d’accord c’était un peu exagéré de faire un concours de mots interdits avec le père Bernard, j’en conviens, mais on comprends que ça a dû l’aider à lâcher un peu de vapeur. J’espère que le maître Omboch ne sera pas trop dur avec lui. Manquerait plus qu’il perde le titre héréditaire de garde champêtre et soit démis de ses fonctions.
Je vais laisser Césario s'occuper du mariage de Mioun maintenant qu'il sait tout. Moi j'aimerai qu'elle épouse un estrangier tu sais, quelqu'un de son âge, quelqu'un qu'elle aimerait bien passionnément. Mais j’ai peur que son père ne le laisse jamais faire ça.
Il préfère encore considérer Pèire, l’écorcheur du village qui sent la chèvre et parle une fois toutes les 4 lunes pleines. Il fait une cour effrénée à Mioun depuis un sacré temps et je pense qu’il est sincèrement amoureux de la petite, mais j’imagine pas qu’elle sera enchantée ma nistoune.
Tu es bien placée pour le savoir comme Césario les détestes les Thibault, mais sa haine des estrangiers est encore plus forte, alors bon c’est pour dire que c’est sans espoir !
Je lui ai promis que je suivrais sa décision de toute façon, pour me faire pardonner tu comprends. Peuchère, ca aura été une rude journée pour lui.
Prépare lui un de tes aïoli légendaire pour l'apéro il en aura besoin.
SamediMon tendre Honoré, Tout à l'heure je t'ai dit non à cause de Césario, de la petite et pour sauver l'honneur. Je l'ai fait machinalement parce que j'ai redouté ce moment depuis tellement longtemps, je m'étais préparée à faire la chose juste.
Ton pauvre cousin ne mérite pas.
Mais tout ce temps... jamais je n'avais envisagé que tu puisse partir, que tu puisse quitter le village! De t’entendre faire tes adieux et dire que tu m’aimais toujours, ca m’a toute estrancinée.
Ce soir avant qu’on parle j’avais eu l'horrible présentiment de ton départ.
Tu sais, quand tu as insisté pour rester seul avec les estrangiers dans la taverne et envoyé tous les gens du village assister au concours de légendes avec tes grands airs de garde-champêtre.
J'ai eu peur qu'il t'ai ensorcelé les estrangiers. Ou qu'il te garde sous la menace. À la vérité je ne sais pas bien de quoi mais j'ai eu peur. Je me suis faufilée en prétextant d'aller au pissadou et je me suis cachée dans l'escalier pour écouter.
Pendant un moment je suis restée là dans l’ombre. J’ai entendu les estrangiers cuisiner ce saligot de Rostan Jourdan. Je t’ai entendu m’appeler, mais j’ai rien dit. Et puis les estrangiers n'avaient pas l'air bien méchants finalement et il m'a semblé que tu devais être avec eux de ton plein gré. Alors j'ai rejoins le concours de légendes, à peine rassurée.
Mon coeur a fait des bons de sardines quand Agustina est venue me chercher à la fin du concours.
Quinze ans qu'on s'était pas parlés, quinze longues années et il me semble encore hier qu'on se réfugiait de l'orage dans la grange des Pierrisnards.
J'y ai réfléchi toute la soirée tu sais. Je n'arrivais pas à t'imaginer loin.
Je n'arrivais pas à imaginer Majastre sans Honoré Patras.
Je n’arrivait pas non plus à me résoudre à briser le coeur de ce pauvre Césario. Je me suis mangée le bourrichon quelque chose de bien tu sais !
Et puis le soir, les morts sont re-revenus et là tout à basculé.
Dans la journée on avait bien essayé avec Mioun de trouver des solutions pour ces pauvres hères; on a fait du spiritisme avec ta soeur, demandé des conseils aux comédiens, essayé de retrouver le nom du fantôme qui nous collait aux basques (c’était ta cousine au fait, elle te passe le bonjour), étudié les tombes champignons apparues dans la nuit, parlé avec les estrangiers, que dalle rien n’y a fait.
Et les morts du soir, ils étaient moins bonnards que ceux de tantôt. Je me suis barricadée dans la taverne et Ivanoff l’estrangier, qui était là par hasard, m'as dit que toi tu savais quoi faire pour les calmer les morts, que tu étais le seul Majastrois à comprendre. Alors, la peur au ventre, je t'ai cherché partout, et valeureux que tu es, tu y étais déjà en train d'aider les Gondoréens. D'aider tant et si bien que t'y es même passé à un doigt de la mort grand couillon!
Oh boun Diou. Quand on a eu fini de renvoyer le dernier "mort de nouveau vivant re-mort" avec le brave capitaine, j'ai couru aussi vite que mes jambes me portaient à ton chevet.
J'ai cru que je mourrai avec toi.
A ce moment là j'ai pu le voir, le sinistre tableau d'un Majastre vide de toi.
Ca m'a ho-ri-fi-ée.
Pendant que Pétoule te rapieçait j'ai prié les valars, j'ai chanté et je me suis jurée tout bas que si tu te réveillais je ne vivrai jamais plus sans toi.
Heureusement il est doué le Pétoule. Non seulement tu t'es réveillé, mais en te réveillant tu as dit mon nom. Mes jambes ont flanchit et mon coeur a fondu. Ta mère était déjà arrivée et elle s’accrochait à toi comme un biou à son rocher alors je me suis sentie de trop, je suis partie.
Je t'en prie rejoins moi aux douze coups derrière la taverne de Majastre comme quand on était pitchounets..
J'ai encore besoin de te parler.
DimancheMon brave Césario, À l’heure où tu lira ces lignes nous serons loin.
Je sais bien le mal que ça va te faire et j’en suis complètement navrée.
Je veux que tu saches que tout ce que je t’ai dit hier près de la rivière était sincère et que j’ai essayé de rester, de tenir ma parole, d’être une bonne femme pour toi. Mais il s’est passé tant de choses depuis.
La petite ne voulais pas se marier tu sais. Et certainement pas à l’écorcheur après la honte qu’il lui a mis hier au soir au concours de légendes. Qu’est ce que c’était cet élan de romantisme public?! Il dit pas grand chose mais quand il y va le bougre c’est avec perte et fracas. Brave vieux vaï, il aura fait tout son possible mais c’était maladroit il faut l’avouer, et puis c’était bien mal la connaître. Oh je sais bien que ça ne t’enchantais pas non plus de te rapprocher des Thibauts et que tu as fait au mieux dans des circonstances pour le moins... difficiles. Je dirais même que tu y a mis beaucoup d’énergie à l’apéro. Peut-être un tantinet trop…
Au souper, à vous voir avec Bernard faire des concours de zanisette, d’engatses protestataires et de mauvaises blagues au dépens de la petite assise juste à côté, l’avenir ne m’a pas paru très ravissant. À vrai dire j’avais plutôt envie de m’ouvrir les veines. Et la petite faisait un mourre de 6 pieds de long.
Alors je me suis préoccupée. Elle ne m’a rien dit à moi tu sais, mais je la connaît bien ma petite fille! J’ai découvert qu’elle s’était mise à la colle avec les comédiens pour quitter le village une fois l’Allegro Coucourdo terminé. Oh pétan, mon sang n’as fait qu’un tour. Je suis allée voir Columnette pour qu’elle m’aide. Si la petite devais partir avec des estrangiers je préférais qu’elle parte avec des gens de confiance et un petit paquet de nous pour survivre. Après tout même si elle a épousé un Majastrois c’est une estrangière notre Columnette je savais qu’elle comprendrai, qu’elle m’aiderai. Et moi je ne voulais pas que Mioun sâche que je savais, elle n’aurait peut être pas eu le courage de me briser le coeur en pleine face. Je voulais qu’elle sâche qu’elle pourrait revenir quand elle le voudrait et surtout qu’elle n’ai pas mauvaise conscience ma pitchounette.
Parce que la vérité c’est que c’est nous les vieux qui la faisions partir en la fiançant trop tôt et contre son grè.
Et puis ces drames de mal-mariée ça m’a rapellé des choses.
Adélaïde pourra te raconter mieux ce qui s’est passé avec Honoré, elle s’en rends bien compte maintenant de leur cagade. Je le sais parce qu’hier au soir juste avant que je rejoigne Honoré derrière la taverne, elle est venue s’excuser d’avoir gâché ma vie et rendu son fils misérable en nous refusant nos fiançailles. L’intention était bonne mais comment dire... ça m’a fait une bello gambo. Alors je me suis dit que non ça n’arriverait pas à ma fille et que je préférais la perdre plutôt que de voir l’histoire se répéter encore.
J’en étais malade.
Et puis, Honoré aussi est venu me faire ses adieux et là la perspective du village sans Mioun et sans Honoré est devenue vite insupportable. Alors j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai fait mon paquetage, glissé un mot à Honoré avant qu’il aille se coucher, parlé à Mioun et avec l’aide de Columnette et Pétoule nous avons organisé notre départ au petit matin.
Parce que du courage tu sais, il m’en a fallut quand même, j’avais de la tendresse pour toi et puis je te suis reconnaissante d’avoir pris bien soin de nous toutes ces années. Mais si la raison et l’honneur voulais que je reste ta femme, mon cœur partais avec Honoré et mes entrailles avec Mioun.
Aussi, comme pour nous faciliter la tâche, nos deux pères ont décidé de mourir dans la nuit précédant notre départ, leur façon à eux de nous donner leur bénédiction et de corriger une vie entière d’erreur parentale (le mien surtout). Au petit matin, envolé le vieux carcan des anciens. Mon pauvre père, Dieu ai son âme, il a pas travaillé un jour de sa vie et là un sursaut de courage il a fait tant d’efforts. Faut croire que ça l’a tué tè !
Restons assurés que les champs du paradis ne serons pas mieux labourés pour autant.
Nous ne reviendrons pas Césario. Ne fait pas de bêtise ça n’en vaut pas la peine et puis ne nous cherche pas vaï, il n’en viendrait rien de bon. Je te souhaite de tout cœur de trouver une bonne femme dévouée et qui t’aimera comme tu le mérites.
Au final comme dit mon beau frère, Jehan Thibault le tavergiste de Majastre (et poète à ses heures), les vieux ils y connaissent rien à l’amour, quand ils le font c’est doucement et mal.